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Livre premier. Chapitre IV.

Les deux vaisseaux appareillent du Cap de Bonne-Espérance. Vue de deux Isles que j'ai nommées Isles du Prince Edouard. Leur aspect. Reconnoissance de la Terre de Kerguelen. Arrivée au Havre de Noël. Relâche. Description du Havre.1776.
7bre.

Après l'accident arrivé à nos moutons, on imagine bien que je ne laissai pas à terre ceux qui nous restoient. Je les fis conduire promptement à bord, ainsi que nos autres animaux. J'ajoutai à ceux que nous avions amenés d'Angleterre, deux jeunes taureaux, deux genisses, deux chevaux entiers, deux jumens, deux béliers, plusieurs brebis, des chèvres, quelques lapins, & des volailles. Je voulois les déposer à la Nouvelle-Zélande, à O-Tahiti, dans les Isles voisines, & sur les différentes Terres où je jugerois que leur transplantation seroit utile aux Navigateurs & aux naturels du pays.
Les Calfats acheverent leurs travaux à bord de la Découverte, vers la fin de Novembre : ce bâtiment avoit embarqué toutes ses provisions ; il avoit des vivres pour plus de deux ans. Je lui fournis d'ailleurs, ainsi qu'à la Résolution, les autres choses nécessaires pendant le voyage. Ignorant à quelle époque, ou en quel endroit nous pourrions trouver divers articles indispensables dans les vaisseaux, je crus devoir prendre au Cap tout ce que fournit la Coloni.

1776.
9bre.
30.
Ayant donné au Capitaine Clerke, une copie de mes instructions, & un ordre particulier sur ce qu'il devoit faire, si les vaisseaux se séparoient, nous nous rendîmes à bord le 30 au matin. A cinq heures de l'après-midi, il s'éleva, dans le Sud-Est, une brise avec laquelle nous appareillâmes & sortîmes de la baie. Le calme survint à neuf heures, & nous mouillâmes entre l'Isle des Pinguins, & la Côte Orientale, où nous fûmes à l'ancre, jusqu'à trois heures du matin du jour suivant.1 Déc.
A l'aide d'une brise légère du Sud, nous remîmes à la voile, mais nous ne nous éloignâmes de la terre, que dans la matinée du 3.3.
Nous eûmes, à cette époque, un vent frais de l'Ouest-Nord-Ouest, & nous gouvernâmes au Sud-Est, afin de nous jetter davantage sur la route de ces vents.5.
Le 5, un grain subit emporta mon mât de hune d'artimon. Comme j'en avois un de rechange, nous sentîmes d'autant moins la perte de celui-ci, qu'il étoit mauvais, & qu'il avoit souvent excité des plaintes.1776.
Déc.
6.
Le six, dans la soirée, par 39d 14' de latitude Sud ; & 23d 56' de longitude Orientale, les vaisseaux passèrent en divers endroits, où les flots étoient d'une couleur rougeâtre. On puisa quelques baquets de cette eau, & nous la trouvâmes remplie de petits animaux, qui avoient, au microscope, la forme des écrevisses, & qui étoient rouges.
Nous continuâmes notre route au Sud-Est, avec un vent très fort de l'Ouest. Les vagues ressembloient à des montagnes, & produisoient un roulis & un tangage extraordinaires. Nous prîmes beaucoup de peine, pour conserver notre bétail : malgré tous nos soins, plusieurs chèvres, & sur-tout les mâles, moururent ; nous perdîmes aussi quelques moutons. Nous attribuâmes, en grande partie, cet accident au froid, qui commençoit à être bien rigoureux.12.
Le 12, à midi, nous vîmes une terre qui se prolongeoit du Sud-Est-quart-Sud, au Sud-Est-quart-Est ; lorsque nous en fûmes plus près, nous reconnûmes qu'elle formoit deux Isles. Celle qui est plus au Sud, & qui est aussi la plus grande, me parut avoir quinze lieues de circonférence, je jugeai que sa latitude est de 46d 53' Sud, & sa longitude de 37d 46' Est. La plus septentrionale a environ neuf lieues de tour ; elle gît par 46d 40' de latitude Sud, & 38d 8' de longitude Est. La distance de l'une à l'autre est d'environ cinq lieues.
Nous traversâmes le canal qui les sépare ; & nous pouvions découvrir, à l'aide de nos meilleures lunettes, les arbres, & même les arbrisseaux de ces deux terres. Elles me parurent avoir une côte escarpée & remplie de rochers, excepté dans les parties du Sud-Est, où le terrein s'abaisse & s'applatit : nous ne vîmes qu des montagnes stériles, qui s'élèvent à une hauteur considérable, & dont les sommets & les flancs étoient couverts de neige. Je jugeai que la neige avoit beaucoup de profondeur en plusieurs endroits : les parties du Sud-Est en offroient une quantité beaucoup plus grande que les autres. Cela vient, selon toute apparence, de ce que le Soleil s'y montre moins-longtemps, que sur les parties du Nord & du Nord-Ouest. Le sol, dans les espaces où il n'étoit pas caché par la neige, présentoit des teintes diverses, & il me sembloit semé de mousse, ou de cette herbe grossière, qu'on trouve en quelques cantons des Malouines Il y a un rocher détaché à la bande Nord de chacune des Isles ; celui qui est près de l'Isle Méridionale, a la forme d'une tour, & il paroît être un peu éloigné du rivage. Nous apperçûmes beaucoup d'algues sur notre route, & la couleur de l'eau indiquoit des sondes ; rien n'annonçoit un golfe : peut-être cependant y en a-t-il un près du rocher, dont je viens de parler ; mais il doit être petit, & il ne promet pas un bon mouillage.
Ces deux Isles, ainsi que quatre autres, situées de neuf à douze degrés de longitude, plus à l'est, & à-peu-près à la même latitude, furent découvertes au mois de Janvier 1772, comme je l'ai dit dans mon second voyage, 1par les Capitaines François Marion Dufresne & Crozat, qui alloient du Cap de Bonne-Espérance aux Philippines. Elles n'ont point de nom dans la Carte de l'Hémisphere Austral, que me donna M. Crozat en 1775 : 2& j'appellerai les deux que nous vîmes, Isles du Prince Edouard, nom du Fils de Sa Majesté. J'ai laissé aux quatre autres celui d'Isles de Marion, & d'Isles de Crozat ; afin de rappeler le souvenir des navigateurs qui les ont découvertes.
Nous avions presque toujours alors des vents qui souffloient entre le Nord & l'Ouest ; mais le temps étoit assez mauvais : quoique nous fussions au milieu de l'été de cet hémisphere, le froid approchoit celui qu'on éprouve ordinairement en Angleterre au milieu de l'hiver. Cependant la rigueur du climat ne me découragea point ; &, après avoir dépassé le travers des Isles du Prince Edouard, je changeai de route, afin d'aller au Sud des autres Isles, & d'atteindre la latitude de la terre, découverte par M. de Kerguelen.

- Durant notre relâche à Ténériffe, j'avois prié le Chevalier de Borda de me dire ce qu'il savoit sur la terre découverte par M. de Kerguelen, entre le Cap de Bonne Espérance, & la Nouvelle Hollande. Au moment où nous allions appareiller de la rade de Sainte-Croix, il eut la bonté de m'écrire, « que le pilote de la Boussole, l'un des vaisseaux de M. de Kerguelen, lui avoit donné la latitude d'une petite Isle, que le Commandant appela Isle du Rendez-vous, & qui n'est pas éloignée de la grande terre : que la latitude de la petite Isle, mesurée par sept observations, fut trouvée de 48d 26' Sud ; & la longitude, d'après sept observations de la distance du Soleil & de la Lune, de 64d 57' à l'Ouest du Méridien de Paris ». Je fus très-fâché de n'avoir pas su plûtôt que l'un des pilotes de M. de Kerguelen étoit à bord de la frégate du Chevalier de Borda, j'aurois pu obtenir de lui, des détails de cette terre, plus intéressans que sa position, dont j'avois déjà oui parler3.
On me recommandoit, dans mes instructions, de la reconnoître, & d'y chercher un bon havre ; je m'efforçai de remplir les vues de l'Amirauté. Le 16, par 48d 45' de latitude, & 52d de longitude Orientale, nous apperçûmes des manchots, des plongeons, & des algues de rochers4, qui flottoient sur les vagues. A mesure que nous avançâmes à l'Est, nous en trouvâmes plus ou moins tous les jours ; & le 21, par 48d 27' de latitude Sud, & 65d de longitude Orientale, nous vîmes un gros veau marin. Le ciel étoit très-brumeux, & comme je comptois, à chaque moment, rencontrer la terre, notre navigation devint pénible & dangereuse.

- 1776.
Déc.
24
Le 24, à six heures du matin, nous marchions à l'Est ; la brume s'éclaircit un peu, & nous découvrîmes une terre5 dans le Sud-Sud-Est.
Lorsque nous en fûmes plus près, nous reconnûmes que c'étoit une Isle d'une hauteur considérable, & d'environ trois lieues de tour6. Bientôt après, nous en découvrîmes une seconde, de la même grandeur, à une lieue, à l'Est de la premiere7, & d'autres plus petites8, qui gissent entre les deux dans la direction du Sud-Est. Nous apperçûmes une troisieme Isle haute9, au Sud-quart-Sud-Est un demi Rumb l'extrémité méridionale de la premiere. Au milieu des éclaircies de la brume, il sembloit que nous pourrions débarquer sur les petites Isles ; je fis quelques manœuvres pour cela, & je voulus pénétrer dans leur intervalle ; mais, lorsque nous nous trouvâmes plus près des côtes, je sentis que cette entreprise seroit dangereuse par un ciel très-obscur : car, s'il n'y avoit point eu de passage, ou si nous étions tombés sur des écueils, il eût été impossible de regagner le large ; le vent souffloit directement de l'arrière ; la mer étoit d'une grosseur prodigieuse, & produisoit sur les côtes un ressac effrayant. Une autre Isle frappa nos regards dans le Nord-Est ; & prévoyant que j'en découvrirois peut-être de nouvelles encore ; l'épaisseur de la brume continuant, je craignis d'échouer : enfin je crus qu'il étoit plus prudent de m'éloigner & d'attendre un ciel plus serein.
Nous venions de passer au vent de la derniere Isle, dont je parlais tout-à-l'heure. C'est un rocher élevé, & de forme ronde que j'ai nommé Cap Bligh : c'est peut-être la terre que M. de Kerguelen a appelée Isle du Rendez-vous10.A onze heures, l'atmosphere commença à se nettoyer ; je revirai tout de suite, & je portai sur la terre. A midi, nous prîmes d'assez bonnes hauteurs ; d'après nos observations, j'ai marqué à 48d 29' Sud, la latitude du Cap Bligh, la plus septentrionale des Isles, & sa longitude à 68d 40' Est11 : nous le dépassâmes à trois heures ; nous marchions alors au Sud-Sud-Est, par un vent frais de l'Ouest.
Bientôt après, nous revîmes la terre que nous avions apperçue foiblement le matin ; &, à quatre heures, elle se prolongeoit du Sud-Est un demi Rumb Est, au Sud-Ouest-quart-Sud, à la distance d'environ quatre milles. L'extrémité gauche, que je jugeai être la pointe septentrionale de la terre appelée Cap Saint-Louis12, dans la Carte Françoise de l'Hémisphere austral, étoit terminée par un rocher perpendiculaire, d'une hauteur considérable ; & que l'extrémité à droite (près de laquelle est un rocher seul) formoit une pointe dentelée13. De cette pointe, la Côte me parut tourner brusquement au Sud ; car, excepté les Isles que nous avions apperçues le matin, à l'Ouest de la direction, ou elle nous restoit alors. La plus méridionale14 des Isles dont je viens de parler, gît à peu près à l'Ouest de la pointe, à deux ou trois lieues de distance.Il sembloit y avoir un golfe, vers le milieu de la terre, & nous essayâmes de l'atteindre ; mais, en nous rapprochant, nous trouvâmes seulement que la côte faisoit un pli. J'arrivai vent arrière, pour doubler le Cap Saint-Louis15 ; bientôt après la terre s'ouvrit dans la direction du Sud 53d Est ; & elle sembloit former une pointe très-éloignée. Depuis le Cap, le prolongement de la Côte étoit plus méridional : nous apperçûmes aussi plusieurs Isles ou rochers, à l'Est de ces directions ; le plus éloigné étoit à environ sept lieues du Cap, & il nous restoit au Sud 88 d Est16.
Dès que nous eûmes doublé le Cap, nous observâmes que la côte étoit hachée au Sud par un grand nombre de pointes & de baies ; & je me crus sûr de trouver un bon havre. En effet, nous eûmes à peine fait un mille, que nous en découvrîmes un derrière le Cap : nous allâmes à la bouline, afin d'y arriver ; mais quand nous eûmes couru une bordée, il survint survint un calme, & nous mouillâmes à l'entrée du havre par quarante-cinq brasses, fond de sable noir. La Découverte nous joignit bientôt après. Je chargeai tout de suite M. Bligh, Master de la Résolution, d'aller prendre des sondes ; il me dit, à son retour, que le havre étoit sûr & commode ; qu'il offroit un bon mouillage par-tout ; qu'on trouvoit sur la côte de l'eau douce en abondance, & une quantité considérable de veaux marins, de pinguins17, & d'autres oiseaux ; mais qu'il n'y avoit aucune espèce de bois. Tandis que nous étions à l'ancre, nous observâmes que le flux venoit du Sud-Est, avec une vitesse d'au moins deux milles par heure.

- 25.
Le 25, à la pointe du jour, nous levâmes l'ancre, à l'aide d'une jolie brise de l'Ouest ; & après avoir pénétré dans le havre jusqu'à un quart de mille, de la grève sablonneuse qu'on voit au fond, nous mouillâmes de nouveau, par huit brasses, fond de joli sable brun. La Découverte n'arriva qu'à deux heures de l'après-midi. Le Capitaine Clerke me dit que son ancre ayant dérapé, avant qu'il pût faire rentrer le cable, il avoit couru le plus grand risque d'échouer sur la pointe Sud. Il fut obligé de mettre brusquement à la voile, & de traîner l'ancre dans les flots, jusqu'à ce qu'il eût assez de place pour le relever. L'ancre avoit perdu une de ses pattes.
Dès que nous fûmes mouillés, je fis mettre tous les canots à la mer, & j'ordonnai d'amarrer avec une petite ancre de toue. Sur ces entrefaites, on préparoit les futailles que je voulois envoyer à terre ; je descendis dans l'Isle, afin d'examiner en quel endroit on pourroit les remplir plus commodément, & voir d'ailleurs ce qu'offroit l'intérieur du pays.
Je trouvai le rivage presque entièrement couvert de manchots & d'autres oiseaux, & de veaux marins. Ces derniers étoient peu nombreux, mais si peu sauvages, que nous en tuâmes autant que nous voulûmes ; leur graisse nous donna de l'huile, qu'on brûla dans les lampes, & qu'on employa à divers usages. Nous ne fûmes pas embarrassés pour remplir nos futailles ; car on rencontroit par-tout des ruisseaux d'eau douce. Il n'y a pas un seul arbre, & pas un seul arbrisseau ; & on y voit très-peu de gramens. Lorsque les vaisseaux arrivèrent dans le havre, les flancs de plusieurs des collines nous parurent d'un vert éclatant, & nous espérâmes y trouver des plantes. Je reconnus qu'une seule plante, dont on donnera la description plus bas, avoit produit cet effet. Avant de retourner à bord, je gravis la première chaîne des rochers qui s'élevoient en amphithéâtre ; je comptois prendre une vue générale du pays ; mais je n'étois pas encore au sommet, qu'il survint une brume très-épaisse : j'eus bien de la peine à reconnoître mon chemin, pour descendre. Le soir, on jeta la seine au fond du havre, & on ne prit qu'une demi-douzaine de petits poissons. Le lendemain, nous essayâmes l'hameçon & la ligne, mais nous ne fûmes pas plus heureux. Ainsi, les oiseaux furent les seuls comestibles que nous offrit la Terre de Kerguelen : mais, comme je l'ai déjà dit, cette ressource étoit inépuisable.26.
La matinée du 26 fut brumeuse, & nous eûmes de la pluie ; cependant nous remplîmes nos futailles, & nous coupâmes de l'herbe pour notre bétail ; on la recueilloit au fond du havre, où le terrein en produisoit quelques bouquets. La pluie enfla tellement les ruisseaux, que les flancs des collines qui bordent le havre, paroissoient couverts d'une nappe d'eau : elle s'insinuoit dans les crevasses & les ouvertures des rochers qui forment l'intérieur des collines, & elle se précipitoit ensuite à la surface en gros torrens.27.
L'Equipage avoit beaucoup travaillé les deux jours précédens ; il avoit achevé de remplir nos futailles à un ruisseau que la grève présentoit à notre gauche ; & le 27 je permis aux matelots de se reposer, & de célébrer la Fête de Noël. La plupart d'entr'eux descendirent à terre, & firent des courses dans l'intérieur du pays ; ils ne rencontrèrent que des montagnes extrêmement stériles, & d'un aspect affreux. L'un d'eux me rapporta le soir une bouteille, qu'il avoit trouvée attachée à un fil d'archal, sur un rocher qui s'avance en saillie au côté septentrional du havre. Cette bouteille renfermoit un morceau de parchemin, sur lequel on lisoit l'inscription suivante :
LUDOVICO XV. GALLIARUM
REGE, ET D.18 DE BOYNES,
REGI A SECRETIS AD RES
MARITIMAS, ANNIS 1772,
ET 1773.
Cette inscription prouve clairement que d'autres Navigateurs avoient abordé dans ce havre avant nous. Je supposai qu'elle avoit été laissée par M. de Boisguehenneu, qui descendit à terre, avec un canot, le 13 Février 1772, le jour même où M. de Kerguelen découvrit cette terre. Cette descente est en effet marquée dans la Carte Françoise de l'Hémisphere Austral, publiée l'année suivante19.Afin de laisser un Monument de notre séjour dans ce havre, j'écrivis de l'autre côté du parchemin :
NAVES RESOLUTION
ET DISCOVERY,
DE REGE MAGNAE BRITANNIAE,
DECEMBRIS 1776.

- 28.
Je le remis dans la bouteille, avec une pièce de deux sous d'argent, frappé en 1772, & après avoir couvert le goulot d'un chapeau de plomb, je la plaçai, le lendemain, au milieu d'un monceau de pierres, que nous élevâmes, pour cet objet, sur une petite colline, qui est au côté septentrional du havre, & près de l'endroit où elle fut trouvée : elle sera sûrement apperçue de tous les Navigateur qui aborderont à cette baie, par hasard ou à dessein. J'y arborai le pavillon de la Grande Bretagne, & je donnai le nom de Havre de Noël au lieu où mouilloient nos vaisseaux.
C'est la première ou la plus septentrionale des entrées que nous rencontrâmes à la bande Sud-Est du Cap Saint-Louis20, qui forme la côte Nord du havre, & la pointe Nord de cette terre. Sa position seule suffit pour la distinguer de toutes les autres ; mais, afin qu'elle soit plus facile à reconnoître, j'observai que sa pointe méridionale offre un rocher élevé, qui est percé de part en part, & qui ressemble à l'arche d'un pont21. Un seul bloc de pierre, ou rocher d'une grande étendue, qui gît au sommet d'une colline située au côté méridional du havre, près du fond, est aussi une marque distinctive : vis-à-vis de ce rocher, on voit au côté septentrional, une autre colline qui lui ressemble beaucoup, mais qui est plus petite. Le fond du havre présente une petite grève, sur laquelle nous débarquâmes ordinairement ; par derriere, le terrein commence à s'élever un peu, & il y a au sommet de ce monticule, un grand lac d'eau douce. La terre est haute sur les deux bandes de l'entrée, & elle se prolonge à l'Ouest, & à l'Ouest-Nord-Ouest, l'espace d'environ deux milles. La largeur du havre est d'un mille & un quart, dans plus de la moitié de sa longueur ; ensuite elle n'est que d'un demi-mille. La profondeur de l'eau, qui est de quarante-cinq brasses, lorsqu'on y arrive, varie, à mesure qu'on avance de trente à cinq & quatre brasses, ainsi que je l'indique sur la Carte. Les côtes sont escarpées, & le fond est par-tout d'un joli sable noir, excepté en quelques endroits près du rivage, où il y a des lits de l'espèce de Goësmon, qui croît toujours sur des roches. Le fond du havre n'est exposé qu'à deux points du compas ; & même ces deux points sont couverts par des Isles, de maniere que la mer ne peut jamais y endommager un vaisseau. L'examen du rivage me confirma dans cette opinion ; nous y trouvâmes de l'herbe, près de la ligne où s'arrête la marée haute, & c'est un sûr indice d'une Baie tranquille22. On y a la haute marée, à environ dix heures, dans les pleines & les nouvelles Lunes ; & les flots s'élèvent & retombent d'environ quatre pieds.Après avoir déposé la bouteille qui renferme l'inscription, je fis, avec un canot, le tour du havre, & je descendis en plusieurs endroits, afin d'examiner les production de la côte, & sur-tout afin de chercher du bois flottant. Quoique le sol n'offrît aucun arbre aux environs du port, il pouvoit y en avoir en d'autres cantons de l'Isle ; & si effectivement il s'en trouvoit, je présumai que les torrens auroient entraîné des arbres, ou du moins des branches dans la mer qui les rejette sur le rivage. Cela arrive sur toutes les Isles où il y a du bois, & même sur quelques-unes qui en sont absolument dénuées ; mais dans toute l'étendue du havre, je n'en découvris pas un seul morceau.
L'après-midi, je montai sur le Cap Saint-Louis23, accompagné de M. King, mon second Lieutenant, je comptois avoir de cette hauteur, une vue de la côte de la mer, & des petites Isles qui gissent au large ; mais, lorsque je fus au sommet, une brume épaisse me cacha tous les objets éloignés, placés au-dessous de moi ; ceux qui se trouvoient sur le même niveau, ou plus élevés, étoient assez visibles, & ils me parurent d'une stérilité affreuse ; j'en excepte néanmoins des collines au Sud, qui se montrerent couvertes de neige.
Lorsque j'arrivai à bord, on avoit remonté les canots & les chaloupes, les vaisseaux venoient de démarrer, & ils étoient prêts à remettre en mer ; mais nous n'appareillâmes que le jour suivant à cinq heures du matin.

  • 1. Voyez le second Voyage de Cook, tom. 4. P. 154 de la Traduction françoise. M. Crozat plaçoit ces Isles à 48 degrés de latitude Sud, c'est-à-dire, deux degrés au Sud, par-delà leur véritable position.
  • 2. On trouve dans les observations du Docteur Forster, qui composent le cinquieme volume de la Traduction françoise du second Voyage de Cook, des détails sur la Carte, communiqués alors par M. Crozat. Il ajoute que M. Robert de Vaugondy, l'a donnée au Public, & l'a dédiée au Duc de Croy. Le Capitaine Cook observe plus bas qu'elle fut publiée en 1773.
  • 3. Le Capitaine Cook se trouvant sur une côte découverte par les François, les lecteurs s'attendent à trouver dans son journal, le détail précis de ce qu'on avoit fait avant lui ; mais malgré son attention infatigable, malgré sa supériorité dans l'art de la navigation, il ne pouvoit indiquer la route de M. de Kerguelen, sans avoir une connaissance exacte des opérations de ce Navigateur. Il faut parcourir cette note, avant de lire la fin de ce chapitre & le suivant ; on y verra qu'il se trouvoit hors d'état de profiter des observations de son prédecesseur.
    En 1766, lorsque le Capitaine Cook partit d'Angleterre, on connoissoit bien imparfaitement les opérations de M. de Kerguelen. Cet article des instructions que lui donna l'Amirauté, le prouve assez : « Vous chercherez d'abord quelques Isles qu'on dit avoir été vues dernièrement par les François, à 48 degrés de latitude Sud, & au Méridien de l'Isle Maurice ».
    C'étoit là la substance des détails vagues que le Capitaine Cook avoit reçus lui-même au Cap, du Baron de Plettemberg, au mois de Novembre 1772. (Voyez le second Voyage de Cook, tome I. de la Traduction françoise). Le premier Voyage de M. de Kerguelen avoit eu lieu au commencement de cette année.
    M. Cook relâcha de nouveau au Cap, au mois de Février 1775 ; on lui parla encore des Terres découvertes par les François ; il rencontra M. Crozat, qui eut la bonté de lui donner une Carte de l'hémisphere austral, où se trouvoient marquées ces découvertes & celles de M. de Kerguelen. (Voyez le tome 4. de la Traduction du second Voyage de Cook).
    Mais le peu d'instruction qu'offroit cette Carte, n'avoit rapport qu'aux opérations du premier Voyage de M. de Kerguelen ; car elle avoit été publiée en France en 1773, c'est-à-dire avant qu'on pût connoître le résultat du second Voyage de M. de Kerguelen, qui eut lieu à la fin de la même année.
    Le Capitaine Cook ne put donc rien savoir de ce second Voyage de M. de Kerguelen. M. Crozat se contenta de lui dire que les François venoient de faire un autre Voyage, qui s'étoit terminé d'une manière peu honorable pour le Commandant. (Voyez le tome 4. de la Traduction françoise du second Voyage de Cook).
    Nous sommes sûrs que M. Crozat n'ajouta rien de plus, & que M. Cook n'apprit aucun autre détail sur le second Voyage de M. de Kerguelen : il regrettoit, comme l'a vu tout-à-l'heure, de n'avoir pas su plutôt qu'un des Pilotes de M. de Kerguelen étoit à TENERIFFE, à bord de la Frégate du Chevalier de Borda ; il étoit persuadé qu'il auroit obtenu sur cette Terre des détails plus intéressans que sa position. En effet, s'il avoit causé avec le Pilote, il auroit appris que M. de Kerguelen étoit retourné une seconde fois sur cette Terre australe, & que la petite Isles dont le Chevalier de Borda lui donna le nom & le gissement, étoit une découverte de ce second Voyage. Ces rapports imparfaits n'étoient accompagnés d'aucune date, rien n'en indiquoit l'époque ; & M. Cook arriva à la Terre de Kerguelen, croyant que les François n'y avoient abordé qu'une fois ; & ce qu'il ne faut pas oublier, il n'avoit, sur les opérations de ce premier Voyage, qu'un petit nombre de matériaux fournis par le Baron de Plettemberg & M. Crozat.
    Des circonstance particulières ont retardé la publication des Voyages de M. de Kerguelen : le Capitaine Cook étoit mort, quand on les a imprimés ; & en 1780, lorsque la Résolution & la découverte furent de retour en Europe, le Savant qui voulut bien nous aider à indiquer les découvertes antérieures des François, & à les placer sur une des Cartes de cet ouvrage, à côté de celles de M. Cook, ne put, malgré son empressement à recueillir toutes les instructions qui intéressent la Géographie, se procurer que des détails sur le premier Voyage ; & il ne les trouva même que dans une Carte manuscrite.
    Nous sommes plus instruits : M. de Kerguelen vient de publier le journal des deux Voyages qu'il a faits en 1772 & 1773, & il y a joint une Carte des côtes qu'il a reconnues dans ses deux expéditions. L'un de ses Officiers, M de Pagès, a imprimé également une autre Relation du second Voyage, qui est, à bien des égards, plus détaillée & plus complette que celle de M. de Kerguelen.
    Ces Ouvrages authentiques nous mettent en état de corriger les petites erreurs de fait, & de rectifier les détails que le Capitaine Cook a insérés dans cette partie de son journal sur des oui-dires. Les détails que nous venons de donner, nous ont paru nécessaires ; nous les terminerons par une observation générale, qui montre bien l'embarras où se trouvoit M. Cook. il n'a jamais vu cette partie de la côte que les François avoient examinée en 1772 ; & il n'a jamais su qu'ils étoient allés, en 1773, dans l'autre partie qui a été le théâtre de ses opérations. Ainsi, les instructions que lui offroit la Carte de M. Crozat sur le premier Voyage, n'ont servi qu'à le jetter dans l'erreur ; & comme il ignoroit absolument le second, il n'a jamais pu comparer ses observations avec celles de M. de Kerguelen. Nous ferons cette comparaison dans les notes, & l'on verra que ces deux Navigateurs sont d'accord sur tous les points.
  • 4. M. Cook parle de deux especès d'algues dans son Journal ; il donne à l'une le nom ordinaire de sea weed, que nous rendrons par le terme d'algues, & à l'autre celui de rock weed, que nous traduirons par algues de rochers. Il observe que celles-ci croissent sur des rochers. Note du Traducteur.
  • 5. On avoit découvert, avant le Capitaine Cook, ces petites Isles au milieu desquelles il se trouvoit alors. Il est sûr que M. de Kerguelen les vit & leur donna des noms, au mois de Décembre 1773, durant son second Voyage. Si on examine sur la Carte ci-jointe leur position respective & leur gissement à l'égard des côtes voisines de la grande Terre, on sera frappé de la ressemblance avec la Carte de M. de Kerguelen : chacun sait à Londres, que nos Cartes étoient gravées, lorsque le journal de M. de Kerguelen a paru.
  • 6. M. de Kerguelent a appelé celle-ci Croy ou Crouy. Il l'a marquée sur sa Carte, & il en a donné de plus une vue particuliere, où son élévation est considérable, ainsi que le dit le Capitaine Cook.
  • 7. M. de Kerguelent l'a appelée Isle Roland, du nom de son Vaisseau ; elle est aussi représentée dans une vue particuliere sur la Carte françoise.
  • 8. Les observations des François sur la position de ces petites Isles, sont exactement d'accord avec celles de M. Cook.
  • 9. D'après la position de l'Isle de Clugny dans la Carte de M. de Kerguelen, on voit que c'est la troisieme Isle élevée, vue par le Capitaine Cook.
  • 10. Cette isle, ou ce Rocher, étoit le seul point sur lequel Le Capitaine Cook avoit reçu des informations à Ténériffe, & on peut remarquer avec quel soin il rapprochoit de ses observations le peu qu'on lui avoit dit. Ce qu'il donne comme probable se trouve certain, lorsqu'on compare sa Carte avec celle de M. de Kerguelen ; & s'il avoit lu, ou copié les phrases de son prédécesseur, il n'auroit pas décrit d'une maniere différente la forme de l'Isle. M. de Kerguelen dit : « L'Isle de réunion qui n'est qu'une roche, nous servoit de rendez-vous, ou de point de ralliement ; elle ressemble à un coin de mire.
  • 11. On imagine bien que les observations des François & du Capitaine Cook sur la latitude doivent d'accord ; mais ils marquent la longitude d'une maniere très-différente.
    Le Pilote de M. de Kerguelen, qui étoit à Ténériffe, sur la Frégate du Chevalier de Borda, l'indiquoit à 64d 57' Est du Méridien de paris, c'est-à-dire, à environ 67d 16' du Méridien de Londres, ou 1d 24' plus à l'Est que le Capitaine Cook.
    M. de Pagès la fixe à 66d 47' Est du Méridien de Paris, c'est-à-dire, à 69d 6' Est de celui de Londres, ou 26 milles plus à l'Est que la Capitaine Cook. M. de Kerguelen se contente de dire qu'elle gît par 68d de longitude.
  • 12. Nous n'avons eu occasion jusqu'ici que d'ajouter des détails dont le Capitaine Cook ne pouvoit faire mention, parce qu'il ignoroit le second voyage du M. de Kerguelen en 1773 ; il faut à présent corriger de petites erreurs de fait qu'il a commises, parce qu'il connoissoit d'une maniere trop vague les opérations du premier Voyage en 1772. La Carte de l'hémisphere austral que lui avoit donné M. Crozat étant son seul guide, lui indiquoit le Cap S. Louis, ou, le Cap Louis, comme le Promontoire le plus septentrional vu alors par les François, ses observations particulières lui annonçoient que la grande Terre ne se prolongeoit point au Nord, au-delà de l'extrémité gauche qu'il avoit sous ses yeux, & il jugea que le Rocher perpendiculaire dont il est parlé dans son journal, devoit être le Cap Louis de M. de Kerguelen. Mais en rapprochant les Cartes de M. Cook avec celles de M. de Kerguelen, on trouvera que le Cap Louis est sur une autre partie de la côte, & que la pointe septentrionale dont il est ici question a été appelée Cap François par M. de Kerguelen.
  • 13. Cette extrémité à droite paroît être le Cap Aubert de la Carte de M. de Kerguelen. Il faut observer que les François virent, en 1772, une très-petite partie de la côte située entre le Cap Louis & le Cap François, laquelle peut être nommée la Bande de Nord-Ouest de cette Terre ; mais qu'ils en examinerent la position, dans leur second Voyage, & que quelques-unes de ses bayes, rivieres & promontoires ont ces noms sur leurs Cartes.
  • 14. C'est l'Isle de Clugny de M. de Kergeulen.
  • 15. C'est le Cap François, ainsi qu'on l'a déjà observé.
  • 16. Les observations faites par M. de Kerguelen aux environs du Cap François, s'accordent parfaitement avec celles qu'on vient de lire : on trouve sur sa Carte les Rochers & les Isles dont parle M. Cook.
  • 17. M. de Buffon, tom. 9 de l'Histoire des Oiseaux, a donné le nom de Manchots aux Penguins qu'on trouve dans les parties méridionales du Globe ; mais cette dénomination n'étant pas encore assez répandue, nous les appelleront quelquefois Penguins, selon l'usage.Note du Traducteur.
  • 18. Le D est sans doute une abréviation de Domino : M. de Boynes étoit alors en France Secrétaire d'Etat de la Marine.
  • 19. En lisant cette phrase, il est naturel de demander comment M. de Boisguehenneu put laisser, au commencement de 1772, une Inscription qui rappelle un voyage de 1773 ? Le Capitaine Cook fit sûrement cette remarque ; mais il ne pouvoit admettre une autre supposition, il ne savoit pas que les François étoient allés reconnoître cette Terre une seconde fois ; & obligé de concilier ce qu'il voyoit avec ce qu'on lui avoit dit d'une maniere vague & imparfaite, il a confondu un débarquement de premier Voyage avec un débarquement du second.
    La baie où débarqua M. de Boisguehenneu, est sur la côte occidentale de cette Terre, bien loin au Sud du Cap Louis, & à peu de distance d'un autre Promontoire, appelé Cap Bourbon :nos Vaisseaux n'étoient pas sur cette partie de la côte. La Carte ci-jointe indique sa situation ; on y a conservé, d'après celle de M.deKerguelen,une vue particuliere de la baie du Lion Marin (car M. de Boisguehenneu lui a donné ce nom), ainsi que les sondes.
    Le Journal de M. de Kerguelen & le Voyage de M. de Pagès nous apprennent par qui la bouteille fut remise à terre. On y lit les détails suivants : - Les François arriverent sur la côte occidentale de cette Terre le 14 Décembre 1773. En marchant au N. E., ils découvrirent le 16 l'Isle de Réunion & les autres petites Isles dont M. Cook a parlé. Le 17, ils avoient devant eux la Terre principale ; ils étoient sûrs alors qu'elle se trouvoit jointe à celle qu'ils avoient vue le 14. Ils appercevoient en même temps une haute pointe qu'ils nommerent le Cap François ; au-delà de ce Cap la côte prenoit une directionSud-Est, & ils rencontrerent, derriere la partie qui se prolongeoit au Sud-Est, une baie qu'ils appelerent Baie de l'Oiseau, du nom de leur Frégate. Ils s'efforcerent d'y entrer ; mais les vents contraires les jetterent au large. Enfin, le 16 Janvier, M. de Rosnevet, Capitaine de l'Oiseau, envoya sa Chaloupe dans cette Baie : M. de Rochegude, l'un de ses Officiers, qui la commandoit, prit possession de la Baie & de tout le Pays, au nom du Roi de France, avec les formalités nécessaires.
    Ainsi, l'on voit que la bouteille retrouvée par M. Cook, fut laissée par M. de Rochegude : ce dernier ne débarqua que le 16 Janvier 1774 ; mais le Vaisseau de M. de Kerguelen, étant arrivé sur la côte le 14 Décembre 1773, & ayant découvert & reconnu la Baie le 17 du même mois, la date de 1773 est très-exacte.
    Il suffit de jeter les yeux sur la Carte de M. de Kerguelen & sur celle de M. Cook, pour voir que la Baie de l'Oiseau est le havre où l'on trouva l'Inscription françoise. Une autre chose le prouve d'une maniere plus démonstrative encore : les Navigateurs François nous ont donné, ainsi que M. Cook, une vue particuliere de cette Baie ; en comparant le plan ci-joint avec celui qu'offrent les Voyages de M. de Kerguelen & de M. de Pagès, on apperçoit une ressemblance si parfaite, que les uns & les autres ont décrit le même lieu avec fidélité. Les sondes sont les mêmes, & placées dans les mêmes endroits : les trois plans indiquent 45 brasses entre les deux Caps, à l'entrée de la Baie ; seize au point où les côtes commencent à se resserrer, & huit au fond du havre.
    Ce que je viens de dire éclaircit assez le Journal de M. Cook ; j'ajouterai seulement que le havre où mouillerent la Résolution & la Découverte, est éloigné de 40 lieues de celui où M. de Boisguehenneu débarqua en 1772. Voici le passage de M. de Kerguelen : « M. de Boisguehenneu descendit le 13 de Février 1772, dans la Baie qu'il nomma Baie du Lion Marin, & prit possession de cette Terre au nom du Roi ; il n'y vit aucune trace d'habitans. M. de Rochegude, en 1774, a descendu dans une autre Baie que nous avons nommée Baie de l'Oiseau ;& cette seconde rade est à 40 lieues de la premiere ; il en a aussi pris possession, & il n'y trouva également aucune trace d'habitans. »
  • 20. Le Cap François.
  • 21. S'il restoit des doutes sur l'identité de la Baie de l'Oiseau, & du Havre de Noël, le rocher dont il est ici question les dissiperoit ; car M. de Pagès a indiqué, avant le Capitaine Cook, cette marque distinctive ; il dit : « On vit que la côte de l'Est voisine du Cap François, avoit deux Baies ; elles étoient séparées par une pointe très-remarquable par sa forme qui représentoit une porte-cochere, à travers de laquelle on voyoit le jour. » Voyages de M. de Pagès, vol. 2, pag. 67.
    Puisque ces deux Navigateurs ont eu la même idée & adopté à-peu-près la même image, c'est une preuve qu'ils avoient le même objet sous les yeux, & qu'ils l'ont décrit d'une maniere exacte.
  • 22. On a vu dans la derniere, que M. de Pagès & le Capitaine Cook décrivent précisément de la même maniere l'aspect de la pointe méridionale du Havre. Je vais transcrire un autre passage du premier, qui offre la même conformité.
    « Le 6, on mit à terre dans la premiere Baie, à l'Est du Cap François, & on prit possession de ces contrées. Le mouillage consiste en une petite rade qui a environ quatre encablures, ou 400 toises de profondeur, sur un tiers en sus de largeur. En-dedans de cette Rade est un petit Port, dont l'entrée de quatre encablures de largeur, présente au Sud-Est. La sonde de la petite rade est depuis quarante-cinq jusqu'à trente brasses, & celle du port depuis seize jusqu'à huit. Le fond des deux est de sable noir & vaseux. La côte des deux bords est haute, & par une pente très-rude ; elle est couverte de verdure, & il y a une quantité prodigieuse d'outardes. Le fond du port est occupé par un monticule qui laisse entre lui & la mer, une plage de sable. Une petite riviere de très-bonne eau coule à la mer dans cet endroit, & elle est fournie par un lac, qui est un peu plus loin au-dessus du monticule. Il y avoit sur la plage beaucoup de pinguins & de lions marins. Ces deux especes d'animaux ne fuyoient pas, & l'on en augura que le pays n'étoit pas habité ; la terre rapportoit de l'herbe large, noire & bien nourrie, qui n'avoit cependant que cinq pouces de hauteur. On ne vit aucun arbre ni signe d'habitation. » Voyage de M. de Pagès, tom. II, pag. 69.
  • 23. Le Capitaine Cook le confond toujours avec le Cap François.

Référence à citer

Capitaine COOK, Capitaine CLERKE, Capitaine GORE, Troisieme-voyage-de-Cook, archeographe, 2003. https://archeographe.net/Troisieme-voyage-de-Cook