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Maître d'oeuvre, donateurs et financement

Avec le développement de l'urbanisme, l'approvisionnement en eau et les monuments qui l'accompagnent devinrent une nécessité, le signe prestigieux de la transformation d'une bourgade en ville à la romaine et, en définitive, de l'attachement à Rome1.

Ouvrages publiques, les aqueducs étaient généralement construits par la Cité, représentant l'Etat. Les empereurs, conscients du poids de cette charge, mirent à la disposition des collectivité locales des ingénieurs2, des prisonniers de guerre, de la main d'œuvre servile, de l'argent... Des employés se chargeaient d'entretenir l'ouvrage3 ; d'autres veillaient à la bonne répartition de l'eau en réglant le diamètre des tuyaux de distribution4. Une redevance était réclamée aux utilisateurs privés.Par contre, l'Etat laissait sans doute intervenir les personnages importants de la Cité. Par leur mécénat, ils affirmaient leur loyalisme envers Rome et faisaient montre de générosité en offrant fontaines ou nymphée à la population5.
Divodurum dut à celle de sévirs augustaux d'avoir été pourvue d'un nymphée, mais on ignore où il se trouvait. Une hypothèse tenace leur attribue la paternité de l'aqueduc. Cette méprise est due au rapprochement erroné de plusieurs découvertes. En 1848, en effet, sur le glacis de la Lunette d'Arçon, on découvrit la dalle que nous avons mentionnée plus haut6.
De plus, on a prétendu que le nymphée auquel l'inscription fait allusion était le sanctuaire voisin d'Icovellauna, mis au jour à Montigny en 1879, dans une région proche du Sablon7.On a supposé que l'inscription se rapportait à l'aqueduc et qu'elle se trouvait sur son trajet, là où était le château d'eau. Le nymphée, pensait-on, était le château d'eau d'arrivée et de distribution. Il parut vraisemblable qu'il fût situé sur la légère éminence de la Lunette d'Arçon, mais on n'en a jamais trouvé trace8.

Statue de Victoire.

Cette hypothèse sembla confortée par la découverte d'une remarquable statue de Victoire9, accompagnée du fragment d'une autre statue de la déesse10, de plusieurs bas-reliefs d'Apollon, de Mercure et Rosmerta, et de nombreux éléments de chapiteaux de colonnes et de pilastres.

Fragment d'une statue de Victoire.

Or cette hypothèse tombe d'elle-même. Des sévirs, même en s'associant, n'auraient pu mener à terme la construction d'un aqueduc11. L'inscription ne fait que mentionner qu'en l'honneur de la Maison Impériale, des sévirs augustaux ont mené de l'eau depuis son origine jusqu'à un nymphée qu'ils ont fait ériger avec ses ornements. Par dessus tout, cette inscription n'a pas été retrouvée dans son contexte originel, mais remployée dans un sarcophage, en un lieu où se trouvait une immense nécropole12. D'autre part, le temple d'Icovellauna n'est pas à proximité de l'aqueduc mais à plus de 1 300 m à vol d'oiseau13.

  • 1. On a parfois construit des aqueducs alors que ce n'était pas indispensable. C. Poinssot le pense pour Thugga, dont le site est abondamment pourvu en eau par deux sources. La ville n'était pas fortement peuplée et ses maisons possédaient toutes des citernes pour recueillir l'eau de pluie. Thugga construisit son aqueduc sua pecunia, ce qui est rare, proclamant ainsi sa prospérité. Cf POINSSOT (C.), Aqua Commodiana Civitatis Aureliae Thuggae, in Mélanges d'archéologie, d'épigraphie et d'histoire offerts à Jérôme Carcopino, 1966, p. 779.
  • 2. Libratores.
  • 3. Circitores.
  • 4. Les metitores, qui adaptaient une mesure (calix) aux tuyaux.
  • 5. Cette manière de faire, l'évergétisme, était courante dans les villes grecques et romaines. La romanisation l'introduisit en Gaule.
  • 6. Ce bâtiment militaire, on l'a vu, occupait l'actuelle place Philippe de Vigneulles. La découverte se fit aux environs de la place Jean Moulin
  • 7. L'édifice était dédié à Icovellauna, la divinité des Bonnes Eaux, comme le prouve la dédicace C.I.L., 4294 :
    DEAE ICOVELLAV NAE SANCTISSIMO NVMINI GENIA LIS SATVNINVS V S L M.
    C'est un puits circulaire entouré d'une construction octogonale de 6 m de diamètre. Le puits a une profondeur de 6,5 m environ, atteignait une source, actuellement tarie, qui coulait dans un petit bassin octogonal de 1,5 m de diamètre. Un escalier tournant y descendait d'une galerie située au niveau du sol extérieur et permettait de voir la source. Sur la paroi, tout au long de l'escalier, étaient fixées des plaques de bronzes, ex-voto à la déesse, dont une au moins a été trouvée intacte. L'édifice d'Icovellauna semble avoir fait partie d'un sanctuaire voué à des divinités salutaires car ont été recueillis dans les environ une stèle représentant une femme debout, vêtue d'une tunique tombant au dessus du genou et qui sacrifie sur un autel, avec une dédicace à Mercure guérisseur (Esp. V, 4343 ; l'inscription est répertoriée au C.I.L. XIII, n°4306), des fragments d'une stèle qui devait représenter Mercure avec une dédicace (Esp. V, 4401 ; C.I.L., XIII, 4309), un relief représentant sur l'une de ses faces Mercure et Rosmerta, et sur l'autre Apollon (Esp. V, 4346), une dédicace à Mercure (C.I.L. n° 4305) et un petit autel portant la dédicace d'un tabellarius à la déesse Mogontia (C.I.L., 4313). Le temple d'Icovellauna a été étudié très attentivement par H. KOETHE.
  • 8. La construction du fortin en aurait de toute façon détruit tout vestige.
  • 9. Esp. V, 4349. Elle fut trouvée en 1881, en face du séminaire de Montigny, aujourd'hui le lycée Jean XXIII. Elle est en calcaire jaune et fait 1,30 m de haut. C'est une des plus belles pièces du musée de Metz. La déesse est debout sur un globe, et le vent drape son vêtement ; la tête, le bras droit et le pied gauche ont disparu.
  • 10. Esp. V, 4311. Pied gauche de femme posé sur un globe et d'un Amour ailé.
  • 11. B. Vigneron signale que l'aqueduc d'Aspendos a coûté 8 millions de sesterces, celui d'Alexandrie de Troade 16, et il en a fallu 350 pour deux aqueducs de Rome.
  • 12. On voit mal pourquoi on aurait érigé un monument aussi prestigieux dans une nécropole. Nous avons été surpris que C. Lefebvre reprenne cette hypothèse.
  • 13. VIGNERON (B.), p. 192.